L’hôtel Central en 2017
L’hôtel Central de style Art Déco porte bien son nom vu son emplacement lors de son inauguration en 1928, au cœur des activités commerciales et économiques du Dijon de l’entre deux guerres.
Contigu aux Magasins Modernes construits en 1924 (actuelles Galeries Lafayette), voisin du Pauvre Diable (actuels Sephora et H&M), à l’époque, les deux grandes enseignes du commerce dijonnais et de son axe principal, la rue de la Liberté, à proximité des Halles, de la Poste Centrale, des établissements bancaires tels le Comptoir de l’Escompte (actuel BNP) et de la place Darcy (lieu de divertissement des dijonnais pendant tout le 20ème siècle), l’hôtel « Le Central » ne pouvait que connaître le succès.
Edifié de 1926 à 1927 par l’architecte dijonnais Gaston Paris (lire plus bas), ce bâtiment en béton à la façade lisse et géométrique s’agrémentait d’un décor stylisé bourguignon fait de frises d’escargots, de feuilles de vignes et grappes de raisins.
Avec le temps, ces décors ont fini par disparaître et ont donné à l’édifice un caractère austère qu’il n’avait pas à l’origine.
Dépouillé de tout ornement, l’édifice n’avait plus comme seuls éléments décoratifs que les ferronneries des balcons et les garde-corps en béton des fenêtres. Malheureusement, ces derniers, accusant le poids des décennies commençaient à se fissurer et s’effriter. Ne jouant plus leur rôle de sécurité pour les résidents lorsqu’ils se penchaient aux fenêtres, devenant même dangereux pour les passants aux abords de l’hôtel, il était urgent de les refaire.
Façade de l’hôtel Central : une renaissance annoncée
Cette façade étant située dans le périmètre du PSMV (Plan de Sauvegarde Mise en Valeur) du Vieux Dijon, elle est donc à ce titre protégée : la démolition, l’enlèvement, l’altération sont interdits, ainsi que la modification, sauf si elle contribue à restituer l’aspect d’origine.
Plutôt que de se limiter à une simple réfection de ces garde-corps, le groupe Jacquier, propriétaire de l’édifice, a décidé de redonner son éclat à la façade de cet établissement emblématique de Dijon et de la place Grangier où il se situe.
Une demande de travaux a été déposée le 20 octobre 2020 pour « la reconstitution d’une frise type Art Déco, mise en peinture des façades, des garde-corps et des fenêtres. Remplacements à l’identique des garde-corps existants » dixit le document administratif validé par Dijon Métropole.
Du fait de l’inscription aux Monuments Historiques, l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) a été sollicité et a donné son accord de principe tant pour le projet que pour les teintes retenues.
Ainsi, il a été décidé que « les frises et bas reliefs décoratifs effacés par le temps seront restitués en s’appuyant sur le plan initial et les caractéristiques de l’époque. L’ornementation devra reprendre les motifs spiraux et les motifs floraux : deux motifs très utilisés dans l’Art Déco, surtout le motif spiral qui peut symboliser la fleur ou le fruit ».
En ce qui concerne les teintes : « les frises seront en jaune sable, le renfoncement du 4ème étage sera en gris beige, et le reste de la façade sera repeinte en blanc perlé ».
Si on ne peut que se réjouir de cette restauration, il est un détail qui laisse dubitatif sur une reconstitution soit disant à l’identique de la façade, tel que l’évoque l’ABF dans l’un de ses mails.
Pourquoi avoir autorisé (ou n’avoir pas contesté) la transformation de 3 baies vitrées avec leur élégantes jardinières en portes-fenêtres côté place Grangier et de 2 autres côté rue du Château ? Détail regrettable dès lors que la disparition de ces baies et jardinières dénature légèrement l’oeuvre de Gaston Paris, et enlève une opportunité de fleurissement et d’agrément du quartier.
Néanmoins, on ne peut que se réjouir de l’effort réalisé par les propriétaires pour ressusciter cette frise, et renforcer le coté Art Déco de la façade.
La place Grangier et le Vieux Dijon s’en trouvent ainsi valorisés.
Gaston Paris, architecte dijonnais de l’Art Déco
L’Art Déco est un mouvement qui nait entre les années 1910 et la fin de la Première Guerre Mondiale pour s’épanouir pleinement dans les années 20, et décliner à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Il naît du rejet de l’Art Nouveau, jugé exubérant dans ses décors et ses formes, ses arabesques au point d’être requalifié de « style nouille ».
L’Art Déco, dénommé à l’époque Modern Style ou Style Jazz se veut un retour aux formes géométriques, subissant en cela l’influence du cubisme de la peinture : les lignes, surtout la ligne droite, et les formes géométriques tels le carré, le cercle sont à l’honneur, ainsi que la symétrie et la rigueur.
L’Art Déco se veut plus dépouillé que l’Art Nouveau. Des exigences fonctionnelles dictent ce renouveau, et notamment l’idée de réaliser des fabrications en série à partir d’un prototype. Les matériaux employés sont extrêmement variés. En architecture, en plus des ferronneries, de la céramique, des mosaïques, matériaux déjà utilisés dans l’Art Nouveau, apparaît l’usage du verre dépoli et du béton, ce dernier supplantant la pierre dans la structure de l’édifice.
Le terme Art Déco n’apparaitra que dans les années 1960 et éclipsera les autres appellations, notamment celle de Modern Style qui bizarrement sera rattachée à celle d’Art Nouveau.
A l’hôtel Central, ces lignes géométriques se retrouvent dans les différents volumes de la façade : les arcades du rez de chaussée, le jeu des retraits de façade, des balcons ou des garde-corps, mais aussi dans les colonnes du 4ème étage : simples cylindres, sans piétements, ni chapiteaux.
L’inspiration viendra non seulement du cubisme et donc des civilisations exotiques, mais aussi du naturalisme par l’emploi de sujets animaliers ou végétaux dans les décors. Ces derniers ne doivent pas occuper toute la façade mais juste en souligner certaines lignes afin de donner plus de vie aux volumes. Ces décors, s’ils s’inspirent de la nature, ne doivent pas pour autant ignorer la géométrie par l’usage de la courbe, de la ligne droite et de la symétrie dans leur représentation. Ils sont sculptés en rond de bosse, afin de ne pas surcharger la façade. Ces décors au « Central » encadreront le 4ème étage afin de souligner les jeux de volumes de la façade, et lui donner plus de relief dans ses éléments géométriques. Autre caractéristique de l’Art Déco en architecture, pour les immeubles d’angles de rue, comme c’est le cas pour « Le Central », les façades ne seront pas traités en angles droits mais soit en pans coupés ou dans le cas présent en arrondi.
Lorsqu’il commence la construction de cet édifice en 1926, Gaston Paris a 40 ans et est un architecte reconnu avec déjà quelques réalisations à son actif. En effet, né à Dijon le 09 octobre 1896, il est l’Architecte dans sa ville natale, de maisons bourgeoises ou d’immeubles de style Art Déco. Ces résidences de standing pour l’époque, que l’on peut encore admirer, se situent pour la plupart dans les quartiers Jacques Cellerier, Victor Hugo, et Spuller.
Après le « Central » , Gaston Paris réalisera en 1928 une autre œuvre marquante du paysage urbain de Dijon: le Foyer des Jeunes Travailleuses, situé à l’angle du boulevard de La Trémouille et de la rue Joseph Tissot, actuellement occupé par les services administratifs du Conseil Régional de Bourgogne Franche Comté.
D’autres œuvres de Gaston Paris parsèment et agrémentent le paysage urbain de Dijon du style Art Déco : les plus connues de la période années 30 sont le « Building Darcy » rue Millotet et la résidence du 7 rue Michel Servet.
Après 1945, Gaston Paris, membre du Conseil Municipal sous la mandature du Chanoine Kir, continuera à exercer ses talents d’architecte, mais abandonnera l’Art Déco, passé de mode. Sa dernière œuvre devait être la Faculté des Sciences sur le campus nouvellement créé : il en dessinera les plans sans pouvoir les réaliser puisqu’il décèdera le 13 aout 1952 à Dijon.